L’hôtel King David, à Jérusalem-Ouest, et l’American Colony, dans les quartiers Est de la ville, ont tous deux hébergé des chefs d’Etat, des rois, des princes, et ont été le lieu de négociations qui ont jalonné le conflit moyen-oriental. Visite de ces palaces où disposer d’une suite peut se révéler un véritable enjeu diplomatique.
Sixième étage, une moquette rouge profond et des doubles portes de bois sombre. Bienvenue dans l’une des deux suites présidentielles de l’hôtel King David au cœur de Jérusalem. Ici, ont résidé durant leur dernière visite officielle en Israël, Donald Trump, Emmanuel Macron, le prince Charles ou encore le roi d’Espagne. Ici encore, les vitres font dix centimètres d’épaisseur et sont garanties à l’épreuve des balles, certes, mais aussi des roquettes de type RPG. Ici enfin, les chefs d’Etat ou de gouvernement peuvent, depuis leur fenêtre, regarder toute la complexité du Proche-Orient. Droit devant eux se dresse le mur des Lamentations, lieu saint du judaïsme, la mosquée d’Al-Aqsa chère aux musulmans ou encore le mont des Oliviers, prisé des pèlerins chrétiens. En 1977, lorsque le président égyptien Anouar el-Sadate effectue une visite historique en Israël, il loge au King David.
Quelques encablures à l’est de ce bâtiment hautement chargé d’histoire, un ensemble de quatre maisons édifiées dans le plus pur style byzantin a vu lui aussi s’écrire quelques pages de l’histoire compliquée du Moyen-Orient. L’hôtel American Colony, sa fontaine ombragée, son patio et sa suite numéro 16, théâtre de discussions aussi discrètes que déterminantes en 1992. Dans cette chambre où l’on peut accéder sans passer par la réception, se sont retrouvés, durant des semaines, Yossi Beilin, émissaire du Premier ministre israélien de l’époque Yitzhak Rabin, et Fayçal Husseini, notable palestinien de la ville de Ramallah. Leurs échanges ont été les prémices des accords d’Oslo signés en 1993. L’une des premières manifestations du dialogue israélo-palestinien pour une reconnaissance mutuelle des deux nations.
Deux hôtels, l’un à Jérusalem-Ouest dans la partie juive de la ville, l’autre dans les quartiers Est, le secteur musulman de la cité, pour une même histoire : celle de l’épicentre du Moyen-Orient.
Grès rose
Le King David n’a pas toujours été un hôtel trois étoiles de 232 chambres. Son histoire commence en 1929 quand la famille juive égyptienne Mosseri achète le terrain de 18 000 m² sur lequel sera édifié un immeuble de quatre étages aux façades recouvertes de grès rose. Avant-guerre, des dignitaires étrangers y séjournent déjà et parfois même sur le long terme comme l’empereur éthiopien Haïlé Sélassié. Toutefois, lorsque la Grande-Bretagne exerce son mandat sur ce qui s’appelle alors la Palestine, le King David abrite le quartier général de l’armée britannique. C’est ce qui lui vaut d’être visé par une action du groupe indépendantiste Irgoun qui milite pour l’indépendance de l’Etat d’Israël. Le 22 juillet 1946, une bombe détruit l’aile sud du bâtiment. Onze années plus tard, le King David renoue avec son itinéraire d’hôtel haut de gamme. Il est racheté par la chaîne israélienne Dan, qui possède aujourd’hui seize établissements.
L’American Colony, lui, est, à l’origine, une maison édifiée au XIXe siècle par le pacha Rabah Effendi el-Husseini pour ses quatre épouses. L’histoire veut que certaines chambres, dotées de portes communicantes, servaient au maître d’accès pour rendre visite à ses conjointes… Après sa mort, la bâtisse est reprise par un couple de chrétiens venu de Chicago, les Spafford. D’où le nom d’Américan Colony. Depuis, l’hôtel est toujours détenu par une soixantaine de personnes physiques de nationalités américaine, britannique ou suisse.
La distance entre les deux établissements n’excède pas deux kilomètres. Pourtant, l’un comme l’autre, ont leur clientèle et leurs aficionados. «Les politiques qui veulent rencontrer des officiels israéliens et palestiniens descendent chez nous», précise Jeremy Berkovits, dirigeant de l’American Colony. Arrivé de Londres il y a quarante ans, et embauché comme comptable, il préside aujourd’hui le conseil d’administration de l’établissement et manie aussi bien l’anglais que l’hébreu et l’arabe. Signe du positionnement de l’American Colony, l’ex-Premier ministre Tony Blair y a passé de longs séjours lorsqu’il était l’envoyé du quartet (ONU, Etats-Unis, UE et Russie) dontl’objectif était alors de réveiller le dialogue israélo-palestinien. Toutefois, quelques années plus tôt, le même Tony Blair, alors chef du gouvernement britannique en visite officielle à Jérusalem s’était installé… à l’hôtel King David.
Depuis que le processus de paix est au point mort dans la région, l’American Colony est moins prisé par les élus de tous bords. «Notre positionnement axé sur la neutralité nous coûte cher, estime Jeremy Berkovitz, notre clientèle ne compte que 5 % de clients venus du monde arabe et 15 % d’Israéliens.» Les Etats-Unis, l’Allemagne ou encore la Suisse fournissent les plus gros bataillons d’hôtes prêts à payer en moyenne 350 euros la nuit. A ce prix, ils peuvent dormir dans l’une des 92 chambres conservées dans leur jus, avec carreaux d’époque patinés par le temps au sol et baignoire à l’ancienne. Le bar, où il n’est pas toujours possible de distinguer avec précision qui est attablé, demeure néanmoins un lieu de rendez-vous à fort enjeu. Les chefs d’entreprises israéliens et palestiniens s’y retrouvent souvent pour négocier leurs deals en toute discrétion.
Plots en béton
Pendant ce temps, le King David doit parfois gérer de manière diplomatique des délégations officielles qui arrivent en même temps. «Pour les funérailles de Shimon Pérès [l’ex-Premier ministre israélien, ndlr], nous avons reçu 25 chefs d’Etat et de gouvernement.» Dans ces cas-là, qui a droit aux deux principales suites à 6 000 dollars [5 300 euros] la nuit ? «Ce sont les services de sécurité qui ont le « final cut » », précise Sheldon Ritz, le directeur commercial du groupe Dan. Il a accueilli pas moins de cinq présidents américains dans les lieux. Lorsque Donald Trump s’installe dans sa suite, ses bodyguards exigent que les vitres, bien qu’à l’épreuve des balles, soient masquées par des plots en béton ce qui ne contribue pas vraiment à l’éclairage naturel des lieux.
Le vaste lobby du King David, dont les pavés sont ornés des signatures de toutes les célébrités qui y ont séjourné, laisse une large place aux arts et aux lettres. Le comédien Michael Douglas a ainsi choisi l’hotêl pour la bar-mitsva de son fils. Reste tout de même que le pouvoir et la notoriété se doivent de composer avec le calendrier de Jérusalem. Il y a quelques années, Vladimir Poutine avait ainsi prévu de s’installer à l’hôtel au moment de la célébration de la pâque juive. Une période durant laquelle le King David est complet et les chambres réservées jusqu’à un an à l’avance. Le président russe a donc été poliment, mais fermement, prié de s’installer dans un établissement voisin. On ne badine pas avec les fêtes religieuses.
Source : Franck B. Libération